Marquer l’histoire, y laisser sa trace et devenir immortel, la reconnaissance des autres à travers le temps et l’espace a toujours été un besoin philosophique existentielle qui peut être conflictuel pour l’être humain. L’Homme peut frôler l’éternité sans être éternel, la vie continue au-delà de la mort à travers les cœurs et les mémoires des générations futures. C’est à partir de ce principe métaphysique que la plus lourde sentence de l’histoire a été créée : DamnatioMemoriae.
Littéralement « Condamnation de la mémoire » en latin, la DamnatioMemoriae est un châtiment post mortem[1]qui consiste à effacer de l’histoire l’existence de celui qui la subit. La peine telle qu’elle a vu le jour en Rome Antique était destinée uniquement aux personnes se rendant coupables de crimes de haute trahison (appelée juridiquement Perduellio). Or, avec le temps, d’autres types d’accusations purent valoir à la même peine.
La DamnatioMemoriae se pratiquait à travers plusieurs opérations conduisant à la suppression du souvenir du défunt au fil des âges, on en dénombre : La destruction des statues et monuments interprétant le condamné, martelage des inscriptions le mentionnant, fontes de pièces de monnaie le représentant, falsification des archives officielles, interdiction à la gens[2] de porter le deuil, de conserver son imago , ou même de laisser sa descendance utiliser son praenomen ( prénom ) ou son cognomen ( surnom romain ).
Ce terme, emporté par les courants archéologiques modernes, s’est actualisé pour englober certaines sortes d’amnésies collectives mémorielles similaires outre qu’en Rome Antique, comme en Egypte Pharaonique ou au Moyen Âge. Mais aussi concernant des crimes minimisés, relativisés ou même déniés par des politiques ou des négationnistes actuels, par exemple, la Shoah[3] peut être mentionnée en Europe des années 40, ou même plus récemment, les Laogai[4] de Chine.
Une des illustrations les plus célèbres de cas de Damnatio est bien celle de la pharaonne Hatchepsout. Née entre 1508 et 1495 av. J.-C. à Thèbes, elle était l’aînée des filles de Thoutmosis Ier, épouse de Thoutmosis II puis régente de Thoutmosis III, trop jeune pour régner seul à la mort de son père. Mais, pour des raisons inconnues des historiens, sa main sur le pouvoir du nouveau roi devint de plus en plus grande. Au bout de quelques années, elle se fit couronner Roi Pharaon. Dans ses représentations officielles, elle troquaitsa tenue de reine pour le pagne[5] court, la coiffe et la barbe postiche de pharaon. Sous son règne, la production d’effigies royales atteint des sommets. Temples, chapelles, tombeaux, palais reçoivent statues et décors à son image. Cette dernière adopta également une politique d’expansion du commerce et de valorisation de la paix durant ses 22 années de règne avant de s’éteindre. Après sa mort, Thoutmosis III remplaça le nom de la reine-pharaon sur les monuments par le sien, ceux de son père et son grand-père, restaura la lignée officielle des pharaons d’Egypte et la condamna à la Damnatio.
Il est de l’ordre de l’évidence de penser que la DamnatioMemoriae est une sanction punitive envers les monarques et les traîtres de haut rang, pour maudire leur souvenir et leur rappeler que la populace a un pouvoir important, celui de changer leur histoire après leur mort. Or, plus abstrait parait-il que c’est également une condamnation envers les historiens et les archéologues puisqu’elle afflige de graves conséquences sur nos connaissances actuelles de l’histoire. Cette dernière, pour les spécialistes, s’assemble élément par élément dans un désordre de puzzle pour arriver à déceler ne serait-ce qu’une once d’authenticité dans les zones sombres des vestiges du passé : Des témoignages oubliés et étouffés par le temps, des inscriptions préservées à l’abri, des archives secrètes. Les hypothèses se construisent, se détruisent puis se réassemblent sur des bases de données concrètes au fil des découvert et tous ses chemins mènent vers la voie de la vérité.
1 Post Mortem : Après la mort.
2Une gens : dans le système social romain, un groupe familial patrilinéaire portant le même nom.
3Shoah : L’extermination des nazis d’entre 5 et 6 millions de juifs d’Europe entre 1941 et 1945.
4Laogai : Camp de rééducation par le travail des prisonniers chinois
5Pagne : Vêtement léger porté dans les pays chauds. Il est fait d'une pièce de tissu, de cuir, de plume ou de matière végétale tressée généralement et rectangulaire, ajusté autour des hanches et descendant jusqu'aux cuisses
SALMA Yasmine
Commentaires